Avocats du Ponant Brest

Les loyers commerciaux à l’épreuve de la Covid-19.
mask, virus, coronavirus

Pour lutter contre la propagation du coronavirus, les autorités françaises ont ordonné, à plusieurs reprises, la fermeture au public de nombreux commerces engendrant des difficultés majeures pour les preneurs de baux commerciaux et professionnels.

Bon nombre de locataires dont l’activité a été arrêtée s’interrogent non seulement sur leur capacité à régler leurs échéances de loyers afférentes aux périodes de fermeture administrative de leurs locaux mais également sur la possibilité de s’en affranchir. Qu’en est-il en pratique ?

La suspension des loyers commerciaux et professionnels annoncée par le Président de la République, le 16 mars 2020, n’a finalement pas eu lieu.

La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 a autorisé le gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, des mesures d’urgence « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers au bénéfice des microentreprises (…) dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie » [1].

L’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 reste néanmoins très prudente ; elle prévoit (seulement) que les très petites entreprises « ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux (…) dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée [i.e. le 10 juillet 2020 inclus] » [2].

La loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 prévoit également que « jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle [une entreprise cesse ou a cessé son activité en raison d’une fermeture administrative, elle ne peut] encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à [son] encontre pour retard ou non-paiement [de ses] loyers (…) » [3].

Il n’est donc question ni d’annulation, ni même de suspension des loyers.

Dans des décisions récentes, les locataires en difficulté ont eu recours, avec un certain succès, aux arguments de droit commun en réponse aux demandes de paiement de leurs bailleurs.

La force majeure.

L’article 1218 du Code civil définit la force majeure comme un évènement irrésistible, imprévisible et extérieur au débiteur d’une obligation contractuelle qui l’empêche, temporairement ou définitivement, d’exécuter ladite obligation contractuelle.

De jurisprudence constante, la Cour de Cassation juge que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » [4]. Il en résulte qu’un locataire ne peut soutenir être libéré par cas de force majeure de son obligation de paiement des loyers et des charges [5].

Toutefois, la Cour d’appel de Paris, saisie en matière de référé, a retenu que « la fermeture totale [d’un local commercial] du fait de l’état d’urgence sanitaire et du confinement est susceptible de revêtir le caractère de la force majeure » en matière de baux commerciaux et a reconnu l’existence d’une « contestation sérieuse » en ce qui concerne l’exigibilité des loyers commerciaux à compter du mois de mars 2020 [6].

Si cette décision semble augurer un revirement de jurisprudence, précaution s’impose dans le cadre d’une procédure de référé qui, par définition, ne permet pas au juge de se prononcer sur le fond du litige. Il faudra donc attendre que les juges du fond se prononcent sur cette question pour savoir si la fermeture d’un commerce, lorsqu’elle est ordonnée par l’administration, constitue un cas de force majeure permettant au locataire de s’affranchir du paiement de ses loyers.

La perte de la chose louée.

Conformément à l’article 1722 du Code civil :

« Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement ».

L’application de cet article n’est pas restreinte au cas de la perte totale de la chose et s’étend au cas où, par suite des circonstances, le locataire se trouve dans l’impossibilité de jouir de la chose louée [7].

Le Tribunal judiciaire de Paris, saisi en matière de référé, a notamment admis que la fermeture administrative d’un local commercial en raison de l’état d’urgence sanitaire était susceptible d’exonérer le locataire du paiement de ses loyers et de ses charges sur le fondement de la perte partielle de la chose louée [8].

Saisi cette fois-ci au fond, le Tribunal judiciaire de la Rochelle a consacré ce raisonnement dessinant alors un horizon d’espoir pour les locataires en difficulté [9].

L’exception d’inexécution.

L’article 1219 du Code civil prévoit que :

« Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

L’exception d’inexécution est susceptible de jouer dès lors que la cause de l’inexécution de l’obligation est due à la faute du bailleur ou d’un cas de force majeure.

Conformément aux dispositions légales en vigueur, le bailleur a l’obligation essentielle de délivrer la chose louée et d’en garantir la jouissance paisible, et cette obligation a pour contrepartie celle tout aussi essentielle du locataire de payer le loyer.

Le Tribunal judiciaire de Paris a récemment jugé que : « Si le bailleur a maintenu pendant la période de fermeture administrative du local la possibilité pour son locataire d’en jouir, et qu’il n’est pas à l’origine de la fermeture administrative imposée par les autorités, le locataire, en application de la théorie de l’exception d’inexécution, peut toujours soutenir qu’en l’absence de fourniture d’un local exploitable conformément au bail, et même si cette situation ne relève pas d’un manquement du bailleur à ses obligations mais de la force majeure, il doit pouvoir lui même cesser d’exécuter son obligation corrélative de régler son loyer » [10].

Récemment, les juges du fond ont invalidé cette position estimant que les obligations mises à la charge du bailleur n’ont pas pour effet d’obliger le bailleur à garantir au locataire la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif, dans lequel s’exerce son activité [11].

A ce jour, nous ne savons pas si la Cour d’appel a été saisie de ce dossier. Aussi, il est toujours permis pour les locataires en difficulté d’espérer que cette décision soit battue en brèche dans un avenir proche.

Affaires (judiciaires) à suivre…

Source : village justice

Autres
actualités